Quand sort la recluse (2017) – Fred Vargas

Le règne de l’araignée

Nouveau millésime Vargas et quel cru ! Gouleyant à souhait, si vous voulez mon avis.

Quand je pense qu’il y en a qui n’ont pas encore frayé avec la clique d’Adamsberg… Chanceux que vous êtes !

A chaque sortie d’un nouveau polar de la grande prêtresse du genre en France, c’est l’effervescence. Et à juste titre ! Enthousiasme bien vite suivi d’une triste période : combien de temps allons-nous en effet devoir patienter pour pouvoir nous lover à nouveau dans ce commissariat si singulier, aux membres si attachants, si génialement caractérisés ? Retancourt, Veyrenc, Mordent, l’inénarrable Danglard, bien sûr, puits de science sans fond, le tout chapeauté par le lunaire Jean-Baptiste Adamsberg dont les fulgurances brumeuses, les rêveries poétiques cachent en fait un enquêteur de la trempe d’un Sherlock Holmes…

Fred Vargas, médiéviste de formation, auteur très « inspiré » (il faut la voir parler de la manière dont elle « voit » et « entend » son œuvre à venir pour comprendre la véritable définition de l’enthousiasme, dans son sens artistique le plus pur : le créateur agissant presque sous la dictée d’une force supérieure) nous offre ici une bien étonnante enquête qui déroule son écheveau autour de la sémantique du terme « recluse ».

Il s’agit ici de tisser une toile qui va de l’insecte à l’enfermement, traverse les époques et les régions françaises pour aboutir à un dess(e)in d’orfèvre digne du meilleure tapissier. Difficile de chroniquer un polar sans spoiler l’intrigue – ce dont je me garderais bien- mais disons qu’il est ici question de cruelles morsures d’araignée, de prisonnières volontaires, d’enfants martyrs et de lointaine vengeance..

Comme d’habitude, au départ, rien ne destinait la brigade à traiter cette sombre affaire. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur une tout autre enquête (qui annonce peut-être le livre suivant ?), qui est laissée en suspens à la faveur d’un « flash » d’Adamsberg – une évidence pour lui, une absurdité pour la plupart de ses collègues – qui va créer quelques dissensions dans le groupe. Il est, je crois, préférable de bien connaître les personnalités et les forces en présence dans le commissariat pour mieux mesurer ce qui se joue ici, qui n’est autre qu’une forme de mutinerie face aux originalités d’Adamsberg qui mènent toujours le groupe là où il ne s’y attendait pas.

Toute l’originalité de Vargas tient en ses différents portraits des membres de la brigade, auxquels on s’attache comme à une famille : rien de classique dans le fonctionnement de ce commissariat, à l’image de son « chef » (qui n’en est d’ailleurs pas tout à fait un). Une équipe haute en couleurs, émotive, intuitive, solidaire, tendre et efficace, pleine d’humanité qui tranche avec le caractère rigide du monde judiciaire habituel.

Connaissez-vous beaucoup de commissariats où personne n’ose utiliser la photocopieuse puisqu’elle sert de lit au chat de la brigade ? Où certains membres ont des têtes de murène sous leur bureau ? Où l’on distribue des morceaux de cake à la famille de merles qui a élu domicile sous leur fenêtre ? Vargas a aussi un sens inouï des dialogues, qui sont une forme de maïeutique (notamment entre Adamsberg et Veyrenc) : ils creusent, fouillent, éblouissent et rapprochent. Le scénario ne manque ici pas de rebondissements et de fausses pistes en cascade qui raviront les fans du genre.

On y voyage beaucoup aussi, de Paris à Nîmes en passant par Lourdes, avec toujours les haltes truculentes autour d’une bonne table et d’un bon vin : Vargas nous donne aussi à voir une certaine France de bons vivants qui goûte les produits du terroir et chérit ses campagnes les plus reculées. J’ai dévoré cette enquête, finie trop tôt, avec une joie sans pareille, une tendresse encore plus profonde pour les membres de cette brigade qu’on aimerait tant rencontrer.

Un mélange doux-amer qui en dit long sur la puissance de la littérature et des personnages récurrents auxquels on prêterait presque vie tant ils nous semblent proches. Adamsberg nous réserve encore des instants savoureux où il se perd dans ses pensées, où on le croit égaré, mais où toujours, il finit par retrouver son fil d’Ariane…

Un commissaire mystérieux, terriblement humain, d’une douceur un peu sombre, d’une sensibilité folle : un homme qu’on aime aimer, tout comme ceux qui l’entourent. Merci, Fred, pour ce nouvel opus magistral qui a impressionné l’arachnophobe que je suis ! On attend déjà le prochain avec une impatience démesurée…

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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