Sorcières, la puissance invaincue des femmes (2018) – Mona Chollet

Gynocide en bande organisée

Ne serait-ce que pour le travail documentaire fourni par l’auteur, cet essai mériterait amplement qu’on s’y attarde. Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique, n’en est toutefois pas à son coup d’essai – si j’ose dire.

Sorcières est son troisième essai après Beauté fatale et Chez soi, tous publiés aux belles éditions de la Découverte. Tous cherchant à sonder ce qui aliène et empêche la femme d’être ce qu’elle aspire à être et ce à quoi elle peut légitimement prétendre. Sorcières est admirable car il arrive à point nommé, à un an quasiment jour pour jour de l’éclatement de l’affaire Weinstein et suite aux vagues de #metoo et autres #timesup. Toutefois, cet essai aussi dense que passionnant ne limite heureusement pas son propos à une victimisation des femmes.

Même si, il faut bien l’admettre, on ne peut que plaindre le deuxième sexe à la lecture de ces 229 pages. Le titre est un prétexte à décrire minutieusement et à travers de nombreuses époques, les massacres, brimades, humiliations et bâtons dans les roues professionnels et sociaux qu’ont dû essuyer les femmes. Sans parler de simplement pouvoir accoucher de la manière la plus simple possible – ce qui est loin d’être le cas – ou de ne pas être mises à l’index si elles choisissent de garder leurs cheveux gris. De tous temps, il semble en effet que

mener une vie indépendante, avoir la maîtrise de son corps et de son sexe reste d’une certaine manière interdit aux femmes.

Qu’on ne vienne pas nous taxer de paranoïaques : Mona Chollet sait de quoi elle parle et étaye son propos de multiples exemples historiques qui montrent tous le travail de sape des hommes à leur égard. Par peur de leur pouvoir ? Par crainte de se voir délogés de leur Olympe sociétal, que leur main mise soit remise en question ?

Qu’il s’agisse de médecins, de juristes, d’économistes, d’historiens, tous les corps de la société ont toujours dénigré les femmes et cherché à les renvoyer dans les cordes et les soumettant ou en les blessant – voire pire, bien pire ! Quand on pense que même l’anatomie féminine est signée par des mâles : le point G, les trompes de Fallope, les glandes de Bartholin – tous portent le nom des hommes qui s’y sont penchés. Le sort des guérisseuses est particulièrement éloquent et dit bien l’injustice et l’arbitraire absolus auxquels ont toujours été soumises les femmes.

Mona Chollet nous indique que bien souvent les guérisseuses étaient beaucoup plus efficaces et rationnelles que les médecins -hommes en place – qui pratiquaient à tour de bras saignées inutiles et sangsues hors d’âge. Mais, craintes, méconnues, sources de tous les fantasmes et surtout boucs émissaires bien commodes, on les qualifiait de sorcières et zou ! Au bûcher. Ça arrangeait bien la société machiste et patriarcale en place depuis la nuit des temps.

L’auteur explique aussi que les femmes se sont quelque part tiré une balle dans le pied en intériorisant elles-mêmes cette position de seconde ou d’assistante. Il faut toujours que nous nous excusions d’exister, et qu’on laisse le champ libre au soit disant légitime – sexe fort. Résultat aujourd’hui ? Le monde livré à une industrialisation effrénée, à une économie de marché masculine dérégulée, à un asservissement de la nature.

En fait, l’homme a fait de la femme ce qu’il a fait de la nature : son obligée, sa partenaire soumise, devant plier à ses désirs. Mona Chollet dit bien cette masculinité de la science, la bêtise de Descartes de séparer corps et esprit, la diabolisation du corps – surtout féminin, source de tous les péchés ! L’auteur porte loin ses réflexions sur la maternité – vraiment un choix quand on connaît le poids normatif de la société ?- sur le couple, l’âge des femmes (la sorcière étant la figure fantasmatique de la vieille femme effrayante, antithèse prétendue du désir, de la beauté et de la créativité).

Elle convoque séries télé, Sophie Fontanel, Camille Laurens, magazines féminins, YouTubeuses mais aussi Corinne Maier – l’auteur du controversé No kid, Toni Morrison ou encore des livres de conte. Et c’est en ça que cet essai est d’une actualité folle puisqu’il fait écho non seulement à l’histoire mais à des figures contemporaines dans lesquelles chacun pourra se retrouver. Il ressort de cet essai que la Femme est d’une telle complexité, d’une telle ambivalence qu’il est difficile de circonscrire son périmètre. Et qu’il est compréhensible en quelque sorte que les hommes les aient craintes depuis toujours.

Des empêcheurs de destin : voilà ce qu’ils se sont évertués à être pour nous, consciemment ou non, ils nous cantonnent et nous caricaturent – et ça les arrange bien de simplifier les choses ainsi. Rien n’est simple chez nous – être mère ou ne pas l’être, choisir l’indépendance ou être femme au foyer : toujours il faudra (se) justifier, rendre des comptes, être tout et son contraire et garder le sourire, quoi qu’il arrive. Pour résumer, La vie est dure mais belle, mais dure mais belle, et pour les femmes, c’est encore une autre paire de manches. M’est avis que si nous avions gouverné le monde à la place des hommes, sans doute n’en serions-nous pas rendus à cette apocalypse, à cette ère de la destruction. (Je vais ici employer un argument essentialiste mais tant pis – mon opinion n’engage que moi)

Parce que nous portons la perpétuation de l’espèce, parce que nous donnons la vie et en connaissons sans doute davantage la valeur que les hommes, ne leur en déplaise. Bien sûr, nous sommes imparfaites, tout comme nos camarades masculins. Mais nous sommes toutes Sorcières, surnaturelles, puissantes et invaincues et nous aimons ce monde dans lequel les enfants qui naissent de nous vivent. Je prends ce livre comme un ambitieux manifeste politique en faveur d’un grand réveil des femmes : Sorcières de tous les pays, unissez-vous ! Seule la solidarité nous sauvera.

Avec son riche appareil critique et son style fluide, la prose passionnante de Mona Chollet est non seulement pédagogique et d’une densité exceptionnelle – elle est indispensable, salutaire et d’utilité publique. A lire d’abord par toutes, puis par tous. Witch, forever ♡

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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