Toi (2012) – Zoran Drvenkar

J’ai rencontré le diable

Est-ce un hasard si ce thriller machiavélique comporte, dans son édition de poche, 666 pages ? Je n’en sais rien.

Toujours est-il que Zoran Drvenkar, dont c’est la première œuvre que je lis, m’a littéralement bluffée avec son Toi. Je l’ai refermé hier soir, partagée entre effroi et émotion.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire à la lecture du synopsis, il ne s’agit pas uniquement d’un thriller. Bien sûr, nous avons bien un serial-killer glaçant qui dézingue sans état d’âme et met l’Allemagne en émoi, une bande de mafieux sanguinaires dont chaque membre a survécu à d’innommables traumatismes, une chasse à l’homme haletante entre Berlin et le fin fond de la Norvège.. Mais pas que.

La construction de ce roman détonne : les courts chapitres font alterner les voix des différents protagonistes de l’histoire, et tout est rédigé à la deuxième personne du singulier. Ce détail (que le titre nous annonce) fait de ce récit une expérience hautement immersive, subjective où, à chaque page, le lecteur se retrouve dans la peau de celui qui parle.

Cette multiplication des points de vue est une stratégie dramatique qui fonctionne à merveille dans une histoire à suspense et pleine de rebondissements, et qui en fait également un roman choral très bien maîtrisé, dont chaque personnage est très fouillé et caractérisé.

Mais je n’ai pas encore parlé du cœur de Toi : une bande de 5 copines berlinoises, unies comme les doigts de la main, et qui vont se retrouver embarquées dans une aventure qu’elles ne sont pas près d’oublier. Je ne peux évidemment pas tout révéler et préfère vous laisser la joie de la découverte par vous-même, mais sachez toutefois que vous ne pourrez – comme dit la formule consacrée – qu’adorer détester ces 5 jeunes filles résolument « attachiantes », bravaches, idiotes et touchantes comme on peut l’être cet âge.

Zoran Drvenkar n’excelle pas seulement dans la construction et la maîtrise parfaite de l’avancée dramatique de son thriller : il a également une vraie plume, un style à la fois violent et poétique, que traversent de profondes réflexions métaphysiques et existentielles. Ce polar réussit à mélanger des moments sordides, dérangeants, malsains, avec de véritables trouées de grâce.

Son tour de force, c’est de parvenir à nous faire ressentir de l’empathie, de la compassion, pour les personnages les plus abjects, à faire ressortir l’humanité de chacun, dans toute leur fragilité de petits bonshommes qu’agitent des maux si lourds.

Toi est également une très plaisante radiographie de l’adolescence, cet âge charnière tissé d’amitiés que l’on se jure éternelles, des premiers émois amoureux, des conneries que l’on regrettera ou pas.. L’auteur rend très bien la spontanéité, l’impulsivité de cette période de la vie à travers cette bande de gamines pleines de vie et de rêves, dont la détermination et les liens juré-craché seront mis à rude épreuve.

Un thriller tourbillonnant, vertigineux, impossible à lâcher, d’une violence terrible et d’une tendresse rare que je recommande très (très) vivement à tout amateur du genre.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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