La Bonne Nouvelle (2024) – Jean-Baptiste de Froment

Le mort vous va si bien

En trois romans, Jean-Baptiste de Froment creuse un bien singulier sillon littéraire, mélange aigre-doux d’analyse socio-politique finement observée et de tendre dérision pour les mœurs et travers humains, trop humains… (et son goût pour les points de suspension !)

L’auteur a cette manière bien à lui, très enlevée, de brosser des comédie provinciales originales aux personnages imparfaits mais très attachants.

J’avais été cueillie par le premier, l’inoubliable « État de nature », dont je retrouve ici tant d’échos et avec quelle joie. Non que je n’ai aimé le deuxième et son détour par le conte oriental (« Badroulboudour ») mais il m’avait semblé trop « léger » pour la virtuosité du talent de Jean-Baptiste de Froment. Sa longue expérience politique et sa fréquentation assidue de nombre de ses acteurs de premier plan en font un chroniqueur passionnant de cet univers à la « bienveillance intéressée » dont il exploite et moque littérairement les turpitudes et les faux-semblants.

Dans « La Bonne Nouvelle », nous rencontrons une narratrice, Hermine de Larmencour, qui vient de perdre son mari Paul, fils d’une illustre famille du Bourbonnais, dans la petite ville (fictive) de Doligny. Hermine, sorte de Nadine de Rothschild, est du genre électron libre, femme forte, qui a du chien, du caractère et du franc-parler, et ne s’en laisse pas conter (elle m’a un peu fait penser au personnage haut au couleur et en verve de La Daronne d’Hannelore Cayre). Il faut l’entendre parler de son Paul disparu pour mesurer l’humour et la tendresse du personnage, cocktail si reconnaissable, peut-être « signature », chez de Froment.

Dans ce petit coin de province tranquille, un événement va pourtant défrayer la chronique : des témoins assurent avoir vu de leurs yeux vu Paul de Larmencour. Ressuscité. Revenu d’où on ne revient jamais (à une exception près). Le roman s’ouvre d’ailleurs in medias res sur la cuisinière du château, Bénédicte, qui l’affirme : « Monsieur Paul » est de retour.

Jean-Baptiste de Froment va alors ausculter l’impact et les répercussions (médiatiques, sociales et politiques) de ce fait divers pas comme les autres. L’effervescence, la foule qui se presse aux portes du cimetière profané, m’ont rappelé la presse rapace et la course à l’événement qu’il faut être le premier à montrer du film « Nightcrawler » avec Jake Gyllenhaal. Dans cette fièvre généralisée, nous croisons de nombreux personnages dont l’auteur ne bâcle jamais le portrait, dont il s’attarde au contraire à brosser les contours et l’humanité complexes. La maire de Doligny, Sophie Khong, est un exemple parfait en l’espèce. Fille d’immigrés propriétaires d’un restaurant un peu cheap, elle a gravi les échelons de la méritocratie républicaine et cherche à faire rayonner ce coin de France qui l’a adoptée avec un savant mélange de calcul et de sincérité.

« Je ne crois pas, hélas, à la vie après la mort, mais si, parmi les millions de raisons qui me viennent, il ne fallait en retenir qu’une seule pour la souhaite, la justifier, la désirer de tout mon cœur, ce serait bien sûr celle-ci : que les mères n’ont pas mis leurs enfants au monde pour qu’ils meurent, quels que soient l’heure ou le jour. »

L’auteur aime particulièrement comparer les hommes à des animaux pour en faire saillir la ressemblance physique et morale. Aussi les deux agents qui accompagnent Sophie Khong partout sont-ils comparés à des « sangliers ». J’avais déjà noté ce penchant « ésopien » dans les précédents livres.

Bien vite autour de cette affaire de résurrection, le Vatican s’affaire et les médias cherchent à démonter la « fake news » alors que les pèlerins se multiplient et que la rumeur enfle d’apparitions nouvelles. Le lecteur croisera également un prêtre peu commun, Benjamin Spark, proche d’Hermine de Larmencour et censé l’aider dans sa quête de vérité ; ou encore une prêtresse africaine du nom de Baptistine : toute une truculente clique de caractères inoubliables dont l’auteur a le secret.

Le scénario avance « à tombeau ouvert » mêlant suspense et drôlerie au service d’un conte contemporain qui interroge la foi, l’expérience des sens, la croyance, le besoin de réconfort, la soif de spiritualité et les grandes questions morales du Bien et du Mal. J’ai été particulièrement surprise par la tournure que prend le roman dans sa dernière partie- que je me garderais bien de « divulgâcher » (mais qui m’a réjouie) – et j’ai à nouveau pu goûter au talent de Jean-Baptiste de Froment pour les scènes sensuelles (les pages 194 à 196 sont tout simplement superbes à cet égard).

« Nos peaux ne se touchent pas encore. Mais l’air qui les sépare n’est déjà plus le vide. Il est une substance délicieuse. Une épaisseur palpable qui nous permet, précocement, de nous sentir. »

Toutefois, la « Bonne nouvelle » n’est pas que cette fable primesautière sise dans la France profonde, elle interroge aussi de bourdieusiens aspects de classe sociale (Hermine n’appartenait pas au milieu de feu son mari), de mort prématurée, de passion et de désir dans le mariage, de cet étranger que l’autre demeure à jamais pour nous, à travers les hédonistes réminiscences de la narratrice :

« À quel moment avons-nous cessé de rechercher les portes cochères ? »

Une comédie bien plus profonde qu’elle n’y paraît, qui aborde le champ du besoin de croire qui tenaille l’âme humaine depuis que le monde est monde et qui prend des formes diverses. De quoi la « résurrection de Monsieur Paul » est-elle le nom si ce n’est d’une soif de transcendance et de guide mystique ?

« Ils se rassemblent maintenant dans des gymnases, des parkings. Autour de gourous en jogging. »

Avec son art consommé de la formule bien tournée, Jean-Baptiste de Froment tisse un roman inattendu et très bien troussé de la France « périphérique », où j’ai retrouvé tout ce qui m’avait séduite chez cet écrivain, cette manière si cocasse et touchante de croquer le monde politique, avec ici une touche mystique particulièrement savoureuse.

Un régal !

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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