Feu (2021) – Maria Pourchet

Pâleurs de l’incendie

Rarement titre aura été plus trompeur,  n’aura davantage induit son lecteur en erreur.

Non, vous ne trouverez dans ces plus de 300 pages nul feu passionnel dévorant, nulle flamme amoureuse qui consume l’âme.

Plutôt le contraire.

Plutôt fadeur, pâleur, tiédeur.
Manque de relief et de profondeur. Petites ambitions, petites vies, petits secrets sans intérêt, petites existences mesquines et sans panache. Et au final petit projet littéraire, indigence stylistique et maigreur du propos.

Si feu il y a, ce ne serait qu’au cul (et encore, c’est faiblard de ce point de vue aussi).

On pourrait comparer « Feu » de Maria Pourchet à une sorte de resucée « d’extension du domaine de la lutte » appliqué à l’adultère. Pourchet fait du Houellebecq au féminin, et c’est d’une telle originalité. Elle distille sa vision cynique et ses sarcasmes (parfois drôles) sur les (misérables, minables) relations homme-femme au fil d’une « intrigue » qui brosse un violent portrait du monde du tertiaire porté par des « punchlines », typiques d’une époque à la pensée courte. Le genre de « littérature » qui tire gloire et orgueil de sa froideur sentimentale, de sa prétendue hauteur cérébrale d’analyse. De ses romances sous Lexomyl pour citadins sans illusions.

La vérité, c’est qu’à cette lecture, on étouffe et on crève d’ennui mortel, comme Laure, comme son mari, comme son amant, et leurs enfants après eux. À refermer ce bouquin, on n’a qu’une envie, c’est d’ouvrir le gaz : avouons qu’en temps de crise, c’est vraiment ce dont nous avons besoin.

Soient donc plusieurs personnages qui se ressemblent, qui partagent tous une personnalité terne, blasée, chiante à mourir. Laure, 40 ans, prof de fac consommatrice d’anxiolytiques, mariée à Anton, médecin (elle n’est manifestement avec lui que pour le statut social) ; deux filles au milieu, Véra, 17 ans, rebelle « féministe » à claquer de bêtise, née de lit inconnu, et Anna, plus petite, la fille que Laure a eue avec Anton et dont elle se contrefout. Qui aujourd’hui l’encombre. Le couple ne fait que se déchirer, et le lecteur peine à comprendre ce qui les unit. Anton fait preuve à l’égard de sa femme d’une patience, d’une douceur et d’une compréhension ahurissantes (« trop bon, trop.. »). Mais ce qui ressort, c’est ce désert de l’amour, du désir et des horizons qui file l’ensemble du texte, à tout instant.

Laure rencontre ensuite Clément, un suicidaire friqué de 50 ans qui bosse dans une grande banque, manifestement dans la cellule « communication de crise ». Le personnage est un stéréotype de son milieu :  cynique, hypocrite, moqueur, ennuyeux, passant son temps à cracher dans la soupe (pourtant grasse), à critiquer ses collègues et à mépriser sa hiérarchie. La seule lueur d’humanité de ce « Feu » tiédasse et sans saveur est ce bouvier bernois avec qui Clément partage sa triste vie solitaire de fils haï par sa mère. Chien qu’il appelle « Papa » et à qui il s’adresse très souvent (à la 2ème personnage du singulier) même in absentia. Chien que Laure, déjà peu avare de défauts et tout sauf attachante, n’aimera pas du tout (elle a ici considérablement aggravé son cas à mes yeux, allant jusqu’à se réjouir de la mort de ce chien adoré de son amant- dont elle dira qu’il est enfin « libéré de son chien excédentaire »). Le passage de de la mort du chien m’a pour ma part tiré des larmes inattendues.

De ces deux personnages, l’auteur tente de nous faire accroire à une romance mais dès le départ, on ne comprend pas ce qui les attire l’un vers l’autre. Ce n’est ni physique ni intellectuel, et encore moins sentimental, dimension évacuée comme la peste dans ce type de romans. Aucune progression dans l’attrait, la curiosité, aucune profondeur de pensée, sauf que soudain la nana en vacances en famille en Italie réalise que son crush lui manque. Ça arrive comme un cheveu sur la soupe et ça m’a rappelé deux (très mauvais) romans qui avaient eux aussi (vainement) tenté de traiter l’adultère : « Seule la nuit tombe dans ses bras » de Philippe Annocque et (l’extrêmement raté) « Disparaître » de Mathieu Menegaux. Eux aussi campaient des personnages creux et sans intérêt qui se mettaient à se désirer du jour au lendemain sans raison apparente.

Alors oui, l’usage d’un étonnant « tu » par Laure, comme si elle s’adressait à elle-même, est intéressant. Oui, les voix d’outre-tombe qu’elle entend (celles de sa mère et de sa grand-mères, femmes « rangées »), qui la parasitent et la jugent (parfois trop grossièrement pour être crédibles, j’imagine mal une grand-mère dire à sa petite-fille qu’elle s’est « bien fait enculer »), l’emploi de la 1ère personne réservé à Clément (comme si seul l’homme pouvait réellement « assumer » l’aventure) sont des procédés singuliers.

Mais au service de quoi ? De pas grand chose.

Si la chanson d’Oldelaf, « La tristitude » était un roman, ce serait sans doute celui-ci. J’imagine que l’auteur (et les médias qui l’ont encensé) se rengorge de sa lucidité crue, de son absence de sentiments, de pathos, d’empathie. Quelqu’un qui dit que « le désir ne mène nulle part, sinon à la détresse, à s’humilier », c’est forcément quelqu’un d’admirable, non ?

Personnellement, ça m’a complètement laissée dehors : je ne saurais aimer une histoire d’amour dénuée de sentiment, d’un peu de flamboiement et d’esprit. Or là, rien de tout cela. Les passages dans la tour de la Défense au boulot de Clément sont des sommets d’ennui particulièrement abyssal… et c’est tous les deux chapitres les conneries d’agence de notation, de communiqués à la noix et de boss qui se ronge les sangs pour que dalle.

En fait, Pourchet campe des personnages vides, complètement à côté de leurs pompes et apathiques. Voilà par exemple le ressenti de Laure après un de ses premiers rendez-vous avec son amant :

À part cela rien. Tu ne penses rien de ce tête-à-tête toute à l’heure sur des sièges en rotin.

Plus tard, Clément dira :

Nous n’avons elle et moi rien en commun sinon une chose : on ne se comprend pas.

On aurait au moins pu espérer un peu de sexe, un zeste de sensualité, mais là non plus, pas grand chose à se mettre sous la dent qu’un doigtage en Toscane et une levrette debout durant un entracte au théâtre. Ils se désirent à peine, Laure critique même d’entrée les « mains de fille » de Clément (décidément dégueulasse). Tout cela est présenté sans aucune subtilité, tout est froid, mécanique, anti-romantique au possible- absolument déprimant. Je comprends mieux que la presse de gauche ait adoré : faire la gueule est tendance.

C’est en vérité l’histoire de deux personnes qui s’emmerdent et détestent ce qu’elles sont et, partant, tout le monde. Les genres et les rôles traditionnellement impartis à l’homme et à la femme sont également brouillés, ce qui rend les choses parfois confuses ou gênantes :

Il se déshabille et contre toute attente, la petite fille, c’est lui. (…) il ne bande pas mais au fond toi non plus. (…) quelque chose de muet crie sous sa peau de poisson vertical.

Et alors ne parlons pas de l’ignoble « twist » narratif à la fin que je m’en vais « divulgâcher » allègrement : l’étudiante dog sitter du bouvier qui s’avère être Véra et qui VIOLE l’amant de sa mère…Je pense que ça se passe de commentaire.

L’écriture est blanche, clinique, à la Slimani, ponctuée parfois de trouvailles et formules qui font sourire par leur justesse ou leur cruauté (« des mails troussés comme des télégrammes de Trintignant depuis Deauville », « un silence de salle Pleyel », « en amour, on est que le résultat du lycée »). Néanmoins, l’auteur semble parfois un peu oublier qu’elle n’écrit pas que pour elle, certaines phrases sont absconses, on ne les comprend pas, nous n’avons pas les références, le personnage se parle à lui-même, c’est pénible pour le lecteur laissé sur la touche.

Avec une acidité érigée en philosophie et portée en étendard, Pourchet dit toutefois sûrement quelque chose des destinées conjugales contemporaines. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas réjouissant. Elle use un peu trop parfois des énumérations et inventaires à la Prévert, procédé d’empilement facile et efficace, mais vu et revu. Le sous-texte politique de gauche – heureusement léger –  (sur le climat, la Syrie, le féminisme, le « cauchemar d’être un homme », le complexe de classe) vient parachever la médiocrité générale de ce texte selon moi parfaitement redondant face à des propositions bien meilleures dans le même genre-  et bien plus drôles et mieux écrites. Je pense à Frédéric Bécourt, à Julien Sansonnens ou à François Bégaudeau. J’ai d’ailleurs pensé à ce dernier et à son Entre les murs quand il est question de la salle des profs (de fac) où Laure retrouve ses collègues (qu’elle méprise ou envie, elle aussi). Comme c’est plat, petit, sans lumière…

Les intellectuels sont-ils vraiment aussi chiants ?

Maria Pourchet a voulu peindre l’histoire d’une femme déchirée entre ses obligations familiales, son boulot et ses désirs de femme mais tout cela est si dénué de sentiment, de chair et d’authenticité que c’en est très désagréable :

Cette façon de vivre entre ton décor et l’envers. (…) Tu dis chaque jour moins de vérités, bientôt tu n’en diras plus aucune. (…) Devenue paresseuse à force de vivre contre toi, tu as lutté à vide et la lutte t’a vidée.

À un moment donné, Laure confesse avoir regardé « un film sur l’amour sans rien comprendre »… Bah tu m’étonnes, ma grande ! On avait bien remarqué, oui. Disons que c’est encore un personnage qui confond désir, manque et amour. Cul et sentiments.

« À croire que personne ne s’aime dans cette histoire », dit-elle vers la fin, et on ne saurait mieux dire. Bien sûr, Pourchet joue sur la frontière fiction/réalité pour brouiller des pistes qui ne trompent évidemment pas grand monde, mais là n’est pas le problème. On voulait se brûler au « feu » de Bengale de la passion – nous n’aurons eu qu’un vague pétard mouillé qui fait pschitt.

Allez, hop, direction la boîte à livres !

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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